Chef économiste d’Allianz, Ludovic Subran dispose d’une expertise franco-allemande sur les évolutions macro-économiques. Il décrypte pour Randstad Inhouse les perspectives de l’industrie post Covid-19, en France comme en Allemagne.
Avez-vous constaté des disparités entre la France et l’Allemagne dans les réponses apportées à la pandémie du coronavirus ?
Sur les plans sanitaire et économique, la crise aura touché les deux pays très différemment. Les réponses apportées par les pouvoirs publics risquent aussi d’entraîner des reprises très divergentes. Au début de la pandémie, on avait l’impression que l’Allemagne serait plus impactée que la France. Son activité industrielle tournait déjà au ralenti et était très dépendante du commerce mondial. Pourtant un confinement plus léger en Allemagne, rendu possible grâce à des masques et des tests plus nombreux, a changé la donne. Ce qui fait qu’aujourd’hui le rebond semble plus fort que pour l’industrie française.
L’Allemagne et la France ont en commun d’avoir mis en place très rapidement du chômage partiel pour aider les entreprises à mieux traverser ce choc. Mais en Allemagne les entreprises, particulièrement dans l’industrie, sont habituées à ces dispositifs et les ont appliqués sans mettre leur activité à l’arrêt. Par ailleurs, les protocoles sanitaires sur les sites ont été déployés plus rapidement et les stocks industriels allemands étaient plus importants. Ils ont ainsi trouvé des débouchés plus vite.
Ludovic Subran
Quelles sont les stratégies de sortie de crise des deux pays ?
La France a répondu à la crise de façon très centralisée alors que l’Allemagne a fait exactement le contraire en décentralisant les réponses, en favorisant le dialogue social et en travaillant entre filières. L’Allemagne adopte une relance par la demande, alors que la France cible l’offre avec des investissements productifs par filière (plans d’aide pour l’automobile ou pour l’aéronautique par exemple). L’Allemagne pressent que le commerce mondial va être au ralenti et tient à relancer la demande intérieure européenne. Elle est prête à faire des transferts vers les ménages, à baisser les impôts pour éviter que les Allemands épargnent trop. Elle a aussi accepté sur le plan européen l’idée de mutualiser une partie du budget pour un fonds de reprise. Nous risquons d’avoir une divergence dans la reprise car l’Allemagne aura eu un choc atténué par des politiques publiques rapides et puissantes, et surtout aura tout misé sur son modèle industriel et sur la relance des débouchés en Europe pour aller reconquérir des petites parts de marché.
Quelles seraient vos préconisations à destination des industriels pour la sortie de crise ?
Aujourd’hui, les entreprises sont à la recherche de liquidités et il y en a beaucoup : 500 milliards d’euros débloqués par l’Allemagne et près de 300 par la France. Il est difficile d’investir quand on ne sait pas quel sera le retour sur investissement et de quoi demain sera fait. Pourtant le risque serait de rester attentiste alors qu’il ne faut justement pas hésiter à s’équiper, agrandir sa bande passante informatique, attirer des experts, sortir d’une situation critique. Les industriels ne doivent surtout pas rester paralysés, mais, au contraire, définir un plan de sortie de crise et être agiles pour l’adapter si besoin.
L’enjeu est d’utiliser tous les dispositifs et de prendre des décisions pour éviter de se retrouver, par accumulation dans une situation proche du défaut de paiement. C’est aussi le moment de recréer de la confiance et du lien avec ses parties prenantes (fournisseurs, clients, employés, actionnaires, etc.) pour traverser ensemble cette période de stress collectif.
Je garde espoir pour l’industrie européenne. L’UE se rend compte que l’autonomie industrielle est importante. Des opportunités se présentent pour recréer des filières et des écosystèmes en Europe. Pour les industriels, c’est le moment de repenser des projets qu’ils avaient mis en attente. Beaucoup de liquidités et de financements sont à disposition et c’est le moment de les mettre à profit !