CN Industrie, Sogilis, Michelin ou encore Airbus…depuis environ cinq ans, les initiatives pour libérer l’entreprise se multiplient, peu importe la taille des groupes. Que cache ce mouvement ? Peut-il être pérenne ? Quelle place le digital a dans cette évolution ? Eclairage sur ce phénomène.

Sociocratie, holacratie ou entreprise autogouvernée…derrière tous ces concepts développés par Isaac Getz ou Frédéric Laloux se cachent une répartition différente des pouvoirs de décision et de division du travail. Au lieu d’être organisées de manière hiérarchique, des sociétés optent pour des fonctionnements plus organiques. Chaque salarié et chaque équipe prennent librement des décisions qui concernent leur domaine de responsabilité, en consultant les personnes impactées par ces décisions. Ainsi, les arbitrages sont en phase avec la mission de l’entreprise, qui elle-même résulte d’une élaboration collective.

Autre particularité de ce système : les niveaux inférieurs disposent d’un réel pouvoir d’influence sur les niveaux supérieurs, à travers un système de « double lien » comme l’explique Thomas Coutrot, économiste et spécialiste des questions du travail: « le cercle supérieur désigne le coordinateur du cercle inférieur, mais celui-ci élit un représentant, révocable, qui participe aux décisions (avec pouvoir de veto) du cercle supérieur »,

Des expériences limitées

Si le concept d’entreprises libérées est de plus en plus répandu, peu d’entreprises suivent précisément ce schéma aujourd’hui. Pourtant, leur nombre progresse. Selon l’étude How Report de 2016, réalisée dans 17 pays auprès de plus de 16 000 dirigeants, seules 8% des entreprises peuvent être considérées comme libérées. Un chiffre bas, mais en forte croissance par rapport à 2012 où elles étaient 3%.

Dans le détail, le profil des entreprises est assez varié. Des PME indépendantes dirigées par un patron emblématique, comme Probionov ou Inov On, mais désireux de changer l’organisation du travail d’un côté, et des grands groupes, comme Michelin, EDF ou encore BNP Paribas, souhaitant expérimenter de nouvelles formes de travail.

Le développement du digital a participé à l’augmentation du nombre d’entreprises cherchant à se libérer. « Il facilite notamment la mise en place d’un projet émancipateur, simplifie le partage de l’information et accélère les prises d’avis et de décisions et rend les feedbacks plus efficaces, précise Thomas Coutrot. Mais la technologie reste une question secondaire, car elle est au service du projet et non l’inverse ».

Oublier les profits

Mais l’évolution de la complexité du monde du travail et les attentes de salariés, plus formés, en termes d’épanouissement au travail nécessitent plus d’autonomie et de prise de décision de la part des collaborateurs, selon Laurent Ledoux, dirigeant d’Equis, spécialisé dans la transformation des entreprises.

Selon les experts, la libération réelle du travail ne peut être pérenne que si elle repose sur une transformation du fonctionnement quotidien et des structures de pouvoir et de propriété​ des entreprises. « On ne peut pas rentrer dans une philosophie de l’entreprise libérée et vouloir maximiser les profits, précise Laurent Ledoux. L’objectif doit bel et bien rester le bien-être des salariés, facteur d’amélioration de la productivité au travail ».

Trop tôt donc pour parler de réussite. Mais le mouvement qui vient d’être amorcé « semble prometteur, selon Thomas Coutrot, car il répond à des aspirations réelles chez les salariés comme des managers et pourrait alors remettre profondément en cause le management capitaliste ».



Cet article est paru initialement sur re.sources, le laboratoire de réflexion et d’action sur l’emploi du groupe Randstad France.

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