À la croisée des enjeux de diversité et d’égalité femmes-hommes, la mixité professionnelle deviendrait-elle prioritaire pour la société civile, les pouvoirs publics et les employeurs ? Le groupe Manitou s’y engage.Cette ETI industrielle, numéro 1 mondial des chariots de manutention tout-terrain, a enclenché toute une dynamique sur le sujet. Ses collaborateurs, comme ses collaboratrices, commencent à percevoir très concrètement ce que la mixité apporte au quotidien.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La dernière étude publiée par Eurostat(1) sur les rémunérations des Européennes et des Européens révèle qu’aujourd’hui, en France, à poste équivalent, les femmes perçoivent en moyenne des salaires inférieurs de 15,2 % à ceux des hommes. L’iniquité persiste alors que le principe « à travail égal, salaire égal », inscrit dans la loi depuis 1972, a été renforcé en 2006 par une loi portant spécifiquement sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Autre constat édifiant : les femmes sont presque quatre fois plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel, le plus souvent de façon subie. Si la proportion des emplois à temps partiel occupés par les femmes est passée de 82 % à 78 % entre 2008 et aujourd’hui, il reste une belle marge de progression… d’autant que de nombreux métiers sont, de facto, largement réservés aux hommes. Ainsi, comme le pointe le Centre d’information et de documentation jeunesse (CIDJ) dans l’édition 2018 de son étude annuelle sur les secteurs qui recrutent, les effectifs masculins sont majoritaires (à plus de 60 %) dans 75 familles professionnelles(2) sur 87. « L’emploi féminin est concentré sur des métiers peu qualifiés affichant des conditions de travail précaires, difficiles, mais qui font l’objet d’importants besoins en recrutement », note Michel Tardit, coordinateur de l’étude.
Une nouvelle série de mesures
Le gouvernement semble bien décidé à s’emparer du sujet. Suite au Tour de France de l’Égalité, lancé le 4 octobre 2017 par le Premier ministre et la secrétaire d’État en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes, différentes mesures ont été annoncées le 8 mars dernier à l’occasion de la journée internationale des Droits des Femmes. Beaucoup sont axées sur le monde de l’entreprise et, en particulier, sur la problématique de l’égalité salariale. Il est prévu, entre autres, de généraliser l’usage d’un nouveau logiciel de paie capable de signaler les éventuelles différences de rémunération injustifiées. Une fois ce logiciel opérationnel, les employeurs auront trois ans pour se mettre en conformité et égaliser les salaires qui auront lieux de l’être.
De grandes sociétés montrent la voie
Mais les entreprises (du moins certaines d’entre elles) n’ont pas attendu cette nouvelle impulsion gouvernementale pour agir sur le terrain de la mixité hommes-femmes. « Si celles qui s’activent véritablement restent encore minoritaires, ce sont souvent de très grandes enseignes telles qu’Engie, Sodexo ou Randstad », souligne Pierre-Yves Ginet, co-rédacteur en chef du magazine « Femmes ici et ailleurs » et membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. « Au départ, il s’agissait surtout de communiquer sur cette thématique. Mais au fil des années, l’engagement de quelques grandes entreprises est devenu très concret. Ce qu’elles développent en termes de culture de la mixité et de l’égalité femmes-hommes peut ensuite se diffuser dans le reste du tissu économique, notamment auprès des PME. »
Depuis 2015, Manitou s’active
Le cas de Manitou est particulièrement intéressant. Cette entreprise familiale cotée en bourse compte 3 900 salariés dont 1 500 sont basés à Ancenis (Loire-Atlantique), son berceau historique. Elle est le leader mondial des chariots de manutention tout-terrain. En 2015, ce fleuron industriel du Grand-Ouest avait signé avec ses partenaires sociaux un premier accord sur l’égalité femmes-hommes applicable sur la période 2015–2017. Cela s’est traduit par un plan d’action très concret et opérationnel. Manitou s’est notamment engagé à assurer l’égalité de traitement lors des processus de recrutement, à développer la place des femmes dans l’encadrement, à leur faciliter l’accès à la formation ou encore à lancer un programme de mentorat conçu spécialement pour elles. « Dans le cadre de ce premier dispositif, l’entreprise avait également prévu un budget destiné spécifiquement à réduire les écarts de salaire injustifiés, explique Hélèna Binet, responsable RH Corporate pour le groupe Manitou. Début mars, nous avons signé un nouvel accord avec les partenaires sociaux pour la période 2018-2021. Là, la direction s’engage à ce que les derniers écarts de salaires qui seraient encore injustifiés soient tous comblés à la fin du 1er semestre 2019. » L’amélioration de la qualité de vie au travail des femmes enceintes, la promotion des métiers en sous-représentation féminine ou encore la réservation de places en crèche figurent également au programme de ce nouvel accord.
Sensibiliser le plus tôt possible
C’est aussi en 2015 qu’a été créé le réseau interne Wo’men by Manitou Group. Sa vocation : promouvoir l’égalité professionnelle au sein de l’entreprise. Comptant une soixantaine de membres, dont environ 10 hommes, ce réseau organise régulièrement des conférences destinées à remettre en cause les stéréotypes, à valoriser l’entreprenariat au féminin… « Des ateliers thématiques permettent de réseauter et de partager les bonnes pratiques, ajoute Hélèna Binet. En outre, nous nous efforçons de faire rayonner ce réseau à l’externe, par exemple via des partenariats avec des lycées ou des écoles professionnelles supérieures. Il s’agit notamment de sensibiliser le plus tôt possible les jeunes femmes aux débouchés qu’offrent les métiers de l’industrie au sens large. »
Signalons qu’en octobre 2017, c’est au siège du groupe Manitou que Nicole Klein, préfète des Pays de la Loire, a choisi de signer le premier plan triennal par lequel la région s’engage en faveur de l’égalité professionnelle femmes-hommes. En toute logique, le groupe Manitou était la première entreprise de la région signataire de ce plan, auquel participaient également les partenaires sociaux, la Caisse des dépôts, les chambres consulaires et des structures telles que Pôle emploi, les missions locales et Cap emploi.
« Nous menons une politique événementielle sur ces sujets, indique Hélèna Binet. C’est ainsi que dans le cadre de l’édition 2018 du Printemps des Fameuses, organisé par le Centre de Communication de l’Ouest, nous avons décidé d’accueillir dans nos locaux d’Ancenis l’Exposition “Tous les métiers sont mixtes”, créée en 2015 par l’Association Femmes Ici et Ailleurs en partenariat avec l’Institut Randstad ».
C’est bon pour la performance !
« Si notre groupe est particulièrement actif sur ce terrain, comme d’ailleurs en matière de diversité en général, c’est bien sûr dans une optique d’éthique et d’égalité sociale. Mais pas uniquement. Nous avons la conviction que cette mixité enrichit les compétences de l’entreprise et qu’au final, cela la rend plus performante. »
Tout en se méfiant des stéréotypes, Hélèna Binet évoque ce que les femmes peuvent apporter en termes de vision, de minutie, de rigueur, par exemple dans les métiers du contrôle qualité ou de la soudure. « En tout cas, lorsque l’on interroge nos managers, ils se disent très satisfaits d’avoir des femmes dans leurs équipes », souligne-t-elle. Il est vrai que notre entreprise constitue un terreau fertile puisque culturellement, hommes et femmes y sont traités sur un pied d’égalité. »
« Les mentalités évoluent »
Samuel Martineau, responsable d’une des deux unités de production montage de l’usine d’Ancenis, confirme : « Ici, de façon générale, les femmes n’ont rien à prouver. Les mentalités évoluent, tout simplement parce que les hommes constatent que les femmes travaillent aussi bien qu’eux… ».
Samuel Martineau note aussi que sur les lignes de production de Manitou, à échelon équivalent, les salaires des hommes et des femmes sont strictement identiques. Il souligne au passage que s’il devient de plus en plus facile d’intégrer des femmes dans les métiers de la production, c’est en grande partie grâce aux efforts qu’a accompli Manitou, depuis quelques années, en matière d’ergonomie et d’aménagement des postes. Les opérateurs se sont vu équiper d’outils de vissage sans effort, d’aides à la manutention… « Avant, il fallait être costaud pour déplacer une roue. Ce n’est plus le cas aujourd’hui… » Ce qui explique pourquoi le recrutement des hommes n’est plus privilégié que sur quelques postes qui demandent beaucoup d’efforts physiques (ceux que la loi considère comme “pénibles”).
La formation initiale, un problème ?
Toutefois, Samuel Martineau signale qu’à ce jour, il n’y a pas encore de chefs d’équipes femmes dans son unité. « Cela viendra et cela ne posera évidemment aucun problème. Au contraire. » Selon lui, cela s’explique beaucoup par une difficulté au niveau de la formation initiale. « Dès l’école ou le CAP, les jeunes filles ne sont pas orientées vers les métiers de la production. C’est ainsi qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas recruter de femmes intérimaires dont les formations initiales correspondent aux métiers de la production. Il s’agit donc de reconversions professionnelles. Or dans ces reconversions, l’expérience nous montre que les femmes les réussissent tout aussi bien que les hommes ! » « Nous avons une femme chef d’équipe en logistique et les femmes peuvent aussi accéder à ce poste par le biais de la mobilité interne ! », souligne Hélèna Binet.
(1) Chaque 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, l’office statistique de l’Union européenne publie un article consacré aux statistiques sur l’écart de rémunération entre hommes et femmes.
(2) La nomenclature des “Familles Professionnelles” (FAP) est issue d’un rapprochement entre celle des “Professions et Catégories Socioprofessionnelles” (PCS), utilisée par l’Institut National des Statistiques et des Études Économiques (INSEE), et le “Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois” (ROME), que Pôle emploi utilise pour coder les emplois recherchés par les demandeurs et les offres déposées par les entreprises.