Le travail, entendu comme une activité économique et sociale de premier plan, participe de l’identité de chacun et vient dès lors alimenter les timelines de millions de citoyens à travers le monde. Nos comptes Instagram, Linkedin et Facebook voient fleurir chaque jour leur lot d’entretiens d’embauche alternatifs, d’escape game d’équipe, de parties de babyfoot endiablées au bureau, ou encore de séminaires de team building au ski. Définitivement, l’ambiance est au mode #ILoveMyJob, qui donne au bonheur en entreprise l’allure du Graal. Si ma boîte fait rêver, alors moi aussi. Si elle m’a recruté, c’est que je suis à la hauteur de sa réputation. Dis-moi où tu travailles et je te dirai qui tu es.
« Dis-moi où tu travailles et je te dirai qui tu es. »
Les entreprises l’ont bien compris et s’insèrent dans ce mouvement avec plus ou moins de réussite. Elles travaillent désormais leur marque employeur sur des plateformes comme Instagram mais aussi à travers des programmes réputationnels centrés sur les réseaux sociaux de leurs collaborateurs.
Ces derniers, rassemblés sous le nom d’employee advocacy (ou programme de collaborateur-ambassadeur), ont pour finalité de créer un environnement fertile à l’expression de collaborateurs volontaires sur les réseaux sociaux, notamment professionnels comme Linkedin mais aussi Twitter, afin de les acculturer aux méandres du monde digital. De nouveaux modes d’interaction avec leurs chaînes de contacts s’ouvrent à eux et ils y découvrent les enjeux de l’e-réputation. Il est également question de les aider à développer leur expertise professionnelle, pour au final la faire rayonner dans leur propre écosystème numérique. Par capillarité, c’est toute l’expertise d’une entreprise qui se diffuse dans des cercles de confiance, gage de crédibilité.
Appartenance, business, information, employabilité….quel intérêt y trouvent les salariés ?
Pour le collaborateur, contribuer à de tels programmes d’ambassadorat revêt de multiples intérêts :
- Celui d’une meilleure employabilité et d’une formation digitale continue. Savoir se servir des réseaux sociaux, connaître leurs enjeux en matière de réputation, de marque employeur, de confidentialité, de sécurité, d’accessibilité…sont autant de compétences techniques (hard skills) recherchées aujourd’hui. Manier les outils de communication numérique permet de cerner la manière dont se construit l’information aujourd’hui. L’e-advocacy participe également de la consolidation des softs skills reconnues par l’OCDE comme indispensables dans un monde en mutation: la créativité, l’analyse critique, la coopération, la communication. Au-delà, on bâtit grâce à ce type de programme une réputation professionnelle numérique crédible et désirable: aujourd’hui, ne pas être actif sur les réseaux sociaux, à titre professionnel, dit autant de vous que le fait d’y être.
- Celui d’un meilleur accès à l’information, car ce sont désormais ces canaux que les entreprises utilisent pour y délivrer de l’information, parfois de manière exclusive, ou pour relayer des éléments que vous ne trouverez pas sur le canal de communication interne (les coulisses d’une émission, des échanges plus politiques….). Bref, s’ouvrir aux réseaux sociaux revient à mieux comprendre le business de son entreprise, découvrir ses interactions avec d’autres publics ainsi que sa manière de défendre ses intérêts dans le monde digital. Et quand l’on se sent prêt, à découvrir comment y contribuer.
- Celui d’un sentiment d’appartenance et de fierté. Faire partie d’un groupe d’ambassadeurs de l’entreprise sur les réseaux sociaux ne revient pas uniquement à créer et interagir pour l’entreprise. C’est construire et respecter son identité numérique propre tout en ayant un accès privilégié à une veille et des informations de l’entreprise que l’on peut relayer, en confiance, pour agrémenter sa ligne éditoriale et la rendre plus attractive. Car créer du contenu relève parfois d’un effort chronophage, rendant d’autant plus intéressant les contenus mis à disposition par son entreprise. En résumé, il faut voir ces contenus comme des accélérateurs de sa propre activité numérique.
- Celui d’accompagner vos objectifs business, ce qui est particulièrement le cas pour des profils de commerciaux, de communicants, de recruteurs …L’employee advocacy ne se résume pas à publier sur les réseaux sociaux: il s’agit d’intégrer ces outils dans son flux de travail quotidien, naturellement, petit à petit. Ces outils s’avèrent désormais incontournables pour se créer de nouveaux contacts, sourcer des profils, obtenir des informations sur vos prospects ou un secteur d’activité, échanger plus simplement avec vos partenaires, détecter des tendances, publier des offres d’emploi….Les réseaux sociaux peuvent devenir un réflexe liant l’utile à l’agréable, et c’est l’intérêt des programmes d’ambassadorat que de vous aider à en faire des alliés business.
Les nouveaux besoins générés par le numérique placent les réseaux sociaux au cœur du future of work.
L’employee advocacy s’appuie sur de nouveaux besoins générés par la révolution numérique. Les usages d’Internet ont profondément transformé l’architecture des besoins, jusqu’à imaginer une nouvelle pyramide de Maslow version digitale. Celle-ci peut d’ailleurs vous aider à vous y retrouver dans l’univers des réseaux sociaux et définir votre investissement en fonction de vos besoins :
Des limites de l’e-advocacy en entreprise
Les programmes d’employee advocacy rencontrent néanmoins quelques limites dont il faut avoir conscience :
- La forme : le ton déployé par les collaborateurs sur leurs réseaux sociaux professionnels y est souvent policé car ils ont tendance à surprotéger leur réputation. Or, l’on pense, souvent à tort, qu’un profil très corporate servira mieux notre réputation qu’un profil plus personnalisé et original. En réalité, plus les publications seront personnalisées, émettant un avis ou une émotion en réaction à un fait ou une publication, plus elles auront de chance d’être virales et d’atteindre leur objectif d’influence.
- Le fond : la finalité de l’employee advocacy peut être mise à mal par un phénomène de chambre d’écho. On finit par se parler à soi-même et être dans des cercles d’influence ultra clos. Si vos collaborateurs ne sont connectés qu’à leurs pairs, alors vous n’atteignez pas de nouvelles cibles et l’employee advocacy devient un énième canal de communication interne…D’où l’accompagnement dans l’optimisation des profils et des interconnexions.
Ces programmes n’ont de sens que dans le temps long et si les ambassadeurs s’y épanouissent librement. Bien qu’accompagnés, ils doivent évoluer sur les réseaux sociaux avec autonomie, y trouvant un intérêt personnel, se connectant à leurs propres centres d’intérêts et diversifiant leur ligne éditoriale pour ne pas seulement se faire le miroir sans relief des contenus pré-mâchés de l’entreprise. C’est ainsi qu’ils construiront des profils numériques influents et utiles à leurs objectifs professionnels, chacun en phase avec sa propre hiérarchie de besoins (cf pyramide digitale de Maslow).
« Les usages des collaborateurs sont les meilleurs standards d’évaluation en matière d’employee advocacy. »
Fort de ce constat, la question n’est pas de savoir si les dispositifs d’employee advocacy ont de beaux jours devant eux ou non. C’est leur valeur ajoutée qui est en jeu. De nouveaux réseaux émergent quasiment chaque mois, certains mastodontes menacent de s’effondrer, les messageries instantanées deviennent les nouveaux forums d’échanges et de mobilisation, chacun veut se réaliser différemment… L’employee advocacy apparaît comme un processus continu, qui ne s’arrête jamais et doit être questionné en permanence au regard des usages des collaborateurs qui sont les meilleurs standards d’évaluation en la matière.
Quel avenir pour les programmes d’employee advocacy ?
Si on se projette un peu, on peut supposer que la génération Z (née au début des années 2000) saura tellement bien se servir des outils qui ont façonné sa représentation du monde, qu’elle en aura un usage totalement autonome et débridé au service de son propre plaidoyer. Arrivée dans le monde du travail, c’est elle qui décidera si oui ou non elle veut partager du contenu professionnel à sa communauté, et surtout, comment. C’est d’ailleurs déjà un peu le cas pour la génération d’avant. Alors réfléchissions plutôt à ce qui permettra aux entreprises de générer suffisamment d’engagement pour que le plaidoyer personnel de certains collaborateurs ait naturellement un impact positif sur l’entreprise. Quelques règles semblent de mise :
- Le lâcher-prise : les entreprises doivent apprendre à faire confiance, à partager le pouvoir de l’information et valoriser un maximum les initiatives réussies. Les outils de social listening permettent aujourd’hui aux entreprises de monitorer efficacement et rapidement leur réputation, limitant ainsi la prise de risque ou permettant à leurs collaborateurs de sortir du cadre en toute maîtrise.
- L’expertise technique : faire monter en compétences un maximum de collaborateurs sur les réseaux sociaux, y compris les non digital natives, c’est valoriser leur expertise tout comme leur attachement à l’entreprise, autant d’atouts précieux pour une marque.
- L’onboarding : les réseaux sociaux doivent devenir des outils d’intégration afin de créer des repères et des automatismes dès l’entrée dans l’entreprise. Les programmes d’employee advocacy doivent être portés à la connaissance des nouveaux arrivants : c’est à la fois un moyen de donner à voir les coulisses et de recruter des volontaires. Cela nécessite du côté de l’entreprise une approche pluridisciplinaire de l’employee advocacy (RH – Com/Marketing).
- La compliance et l’éthique : c’est ce que l’on peut appeler « l’hygiène numérique ». Il faut faire prendre conscience des enjeux de confidentialité et de protection de ses données au plus grand nombre. C’est en les accompagnant sur ce terrain (moral, juridique…) que vous sécuriserez vos collaborateurs dans leur expression numérique tout en protégeant la réputation de votre entreprise.
Par ailleurs, comme le souligne régulièrement l’étude Randstad Employer Brand Research (étude internationale sur la marque employeur), l’importance accordée à « l’équilibre vie privée / vie professionnelle » ne cesse d’augmenter parmi les critères d’attractivité chers au Français, derrière le salaire et l’ambiance de travail. C’est en quelque sorte le revers de la médaille. Les programmes d’e-advocacy pourraient reposer sur le postulat « Tous connectés, tous ambassadeurs » mais ce serait un leurre face à la réalité du rapport au travail de millions de Français. Cela n’a rien d’évident, bien au contraire, et c’est pourquoi le volontariat est et doit rester l’élément clé de ce type de programme. Chacun est libre dans son rapport au travail, et il ne doit pas y avoir un « meilleur profil» de collaborateur en fonction de sa participation ou non à ce type de programme. En revanche, cela doit pousser les entreprises à s’impliquer pour matérialiser leur politique RH autour du droit à la déconnexion, du respect de la vie privée, de la prise de parole publique…afin de rassurer et d’offrir un cadre de communication sécurisé et bienveillant aux collaborateurs qui souhaitent s’investir.
« L’engagement naturel des collaborateurs viendra de la capacité des entreprises à faire écho à leur propre système de valeurs. »
Une conviction pour prolonger le sujet : le futur du corporate advocacy passera assurément par la valorisation de l’environnement non-commercial de l’entreprise. Comment l’entreprise se comporte-t-elle dans le débat public ? A quel modèle de société croit-elle et comment y contribue-t-elle ? Jusqu’où défend-elle ses valeurs ? Et comment les partage-t-elle à ses salariés ? C’est de là que viendra l’engagement naturel de ses collaborateurs à relayer des éléments de marque, qui feront écho à leur propre système de valeurs.
Par Lucas Tourny, Responsable de la communication digitale et de l’influence chez Groupe Randstad en France.
Cet article est paru initialement sur re.sources, le laboratoire de réflexion et d’action sur l’emploi du groupe Randstad France.