Verrait-on se profiler la fin de la désindustrialisation française ? En tout cas, le secteur peine aujourd’hui à recruter les effectifs dont il a besoin, et c’est son déficit d’image qui est principalement en cause. Diverses voies sont donc explorées pour remédier à ce qui devient un vrai enjeu socio-économique.
En ce début 2019, quelque 50 000 emplois ne trouveraient pas preneurs dans l’industrie française. C’est en tout cas l’ordre de grandeur qu’a indiqué le 15 janvier dernier Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État à l’économie, lors de l’inauguration du French Fab Tour, un village itinérant de 3 000 m2 ayant pour vocation première de rendre son attractivité à l’industrie.
« 40% des employeurs ont du mal à recruter et ce, alors que la France compte 5 millions de chômeurs », constatait en cette occasion Philippe Varin, président de France Industrie, appelant à « un travail d’explication et de pédagogie, notamment auprès des jeunes. »
« C’est terrible, car nous offrons des perspectives… »
Parmi les (nombreux) exemples qui illustrent cette problématique, celui, tout récent, de Naval Group, s’avère particulièrement parlant. Alors que l’Australie vient de lui passer commande de 12 sous-marins (pour près de 31 milliards d’euros), et bien que Naval Group ait été distingué comme faisant partie des 10 entreprises françaises les plus attractives lors des Randstad Awards 2018, le groupe peine à recruter des ouvriers et des techniciens. « C’est terrible, car nous offrons des perspectives de promotions internes exceptionnelles, se désole Hervé Guillou, PDG. Avec ce contrat, nous sommes capables de mettre un jeune à l’abri du chômage pour 50 ans. ».
« Nous avons besoin de compétences variées, couvrant notamment les champs de l’automatisme et de la mécatronique, témoignait de son côté François Luneau, directeur général du groupe métallurgiste Gindre Duchavany, dans le cadre de la conférence consacrée en octobre dernier par le Club Inhouse à l’industrie 4.0. Mais encore faut-il les trouver ! Nous sentons bien que les prestataires ont déjà du mal à répondre aux demandes à cause d’un manque d’intervenants qualifiés, en particulier pour l’intégration des robots dans les processus de production. »
Des carrières longues, des salaires élevés… et une mauvaise image
« Aujourd’hui, après une période difficile, l’industrie est stable en France et représente autour de trois millions d’emplois, précise Bruno Grandjean, président de la Fédération des Industries Mécaniques (FIM) et PDG du groupe Redex, fabricant de composants de machines-outils. Compte tenu des départs en retraite, il faudra recruter dans les années qui viennent. Et il ne s’agit pas de CDD. L’industrie propose des carrières longues et des salaires 20 à 30 % plus élevés que dans les services. »
Pourtant, l’image du secteur est toujours marquée par les symboles du passé : pollution, pénibilité, travail à la chaîne…
« En France, nous sommes restés sur une vision héritée du XIXe siècle, poursuit Bruno Grandjean. On imagine qu’une usine est forcément un lieu sale, hostile et où règne un esprit de subordination. Or, c’est bien loin de la réalité vécue par les salariés. Avec les machines intelligentes et la robotique, entre autres, les usines deviennent des lieux où l’on peut se réaliser, mener des carrières qui ont du sens ».
Valoriser la « French Fab »
Diverses initiatives visant à redorer l’image desmétiers industriels auprès du grand public ont donc été lancées ces derniers temps. À commencer par la Semaine de l’industrie, qu’organise depuis 2011 la Direction Générale des Entreprises (ministère de l’Économie et des Finances).
Sur tout le territoire, des partenaires se mobilisent pour proposer gratuitement des événements de sensibilisation sur les différentes filières industrielles. Journées portes ouvertes, visites d’entreprises, témoignages de professionnel(le)s ou encore colloques, forums et salons… La 9e édition de la Semaine de l’industrie a lieu du 18 au 24 mars 2019 sur le thème « La French Fab en mouvement ».
Une tournée à optique ludique et pédagogique
« Avec l’appellation French Fab, nous avons voulu créer un étendard de l’industrie française, à l’instar de ce qu’est la French Tech », indique Patrice Bégay, directeur exécutif de BPIfrance. C’est ainsi que le French Fab Tour, lancé le 15 janvier à Laval, est un immense village de 3 000 m² constitué d’acteurs de l’industrie française.
L’opération poursuit trois objectifs : dissiper le malentendu qui existe entre les Français et leur industrie, attirer les jeunes vers ses métiers et travailler avec les entrepreneurs de chaque territoire visité.
Le French Fab Tour va parcourir une soixantaine de villes de tailles moyennes jusqu’au 10 octobre (date du prochain salon BIG de BPIfrance, à Paris, qui sera consacré à l’industrie).
Au programme : des ateliers pour mieux se faire connaître et des stands pour répondre aux questions des lycéens et étudiants.
À chaque étape du tour, un serious game, “L’expérience French Lab”, est organisé. Ce jeu propose aux visiteurs, par exemple, de faire avancer un petit robot dans un labyrinthe grâce au logiciel de programmation graphique Scratch, ou de scanner des QR codes renvoyant à des exemples de métiers de l’industrie du futur.
Chaque épreuve se dispute en équipe, le but étant de terminer avant les concurrents. Dans une optique résolument ludique et pédagogique, le jeu cherche à faire comprendre que « toute l’industrie ne correspond pas à un seul profil », résume Jean-Rémi Mergui, son créateur.
Révéler ce que les usines d’aujourd’hui ont d’extraordinaire
Fin novembre 2018, le Grand Palais a accueilli à Paris durant quatre jours une usine grandeur nature. Les acteurs industriels français ont recréé cette “Usine Extraordinaire” pour retisser les liens avec la société et amener le grand public à changer d’idées sur le sujet.
Expériences immersives, dialogues avec des techniciens, ingénieurs, chefs d’ateliers et étudiants qui partageaient leur vision, découverte des coulisses avec des lignes de production recréées sur place, réalité virtuelle en direct des sites de fabrication en régions, parcours expérientiels inédits avec des expositions de machines monumentales… L’exposition révélait les coulisses des usines d’aujourd’hui, illustrant comment celles-ci sont modernes, inspirantes et connectées.
« Des témoignages toujours positifs »
Dans un autre registre, on peut mentionner l’initiative de Dimitri Pleplé, qui a effectué un tour de France cycliste des usines à l’issue de ses études à Centrale Supélec.
D’avril à juillet 2017, il a parcouru 2 800 kilomètres et visité 33 sites. Désormais chef d’équipe à l’emboutissage pour PSA à Poissy (Yvelines), il raconte son voyage sur son site et dans un journal de bord intitulé “L’industrip – Un vélo, des usines et des hommes” (Editions La Fabrique de l’industrie). « J’avais la sensation que le grand public se faisait une image fausse du monde industriel, explique-t-il. J’ai recueilli des témoignages toujours positifs, avec des gens attachés à leur travail, à leur produit, à leur territoire, avec des compétences techniques précises. »
Les entreprises elles-mêmes, évidemment, s’activent pour susciter des vocations. Opérations portes ouvertes, partenariats avec des organismes de formation, opérations de communication… Le Dossier du magazine Inhouse n°7, consacré aux jeunes et à l’industrie, évoque ainsi l’exemple de Scania, qui a organisé dans son usine d’Angers, en juillet dernier, un forum auquel étaient conviées les écoles de maintenance du bassin.
Séduire aussi le public féminin
Si les jeunes sont au cœur du problème, il est un autre public auprès duquel le monde de l’industrie a matière à changer d’image : celui des femmes.
Organisé chaque année depuis 2012 par le magazine l’Usine Nouvelle, le Trophée des femmes de l’industrie met ainsi en lumière des parcours et des carrières exemplaires. 11 trophées(2) sont décernés par un jury de professionnels. « Changer les mentalités est excessivement lent, soulignait Delphine Geny-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Economie, le 25 septembre 2018, en ouverture de la dernière remise des Trophées. Il y a là un vrai chantier culturel qui impose d’agir dès le plus jeune âge. Il faut modifier l’image de l’industrie et le faire le plus tôt possible, dès l’éducation primaire. »
Professionnelles de l’industrie
Bien que moins élitiste en termes de public visé, le jeu collaboratif « Industrielles », imaginé et développé par l’Université de Nantes, s’inscrit dans le même esprit.
Le temps d’une journée, une centaine de lycéennes, regroupées en équipes représentant chacune une entreprise, se mettent dans la peau de professionnelles (technicienne R&D, acheteuse, ingénieure de production ou encore technico-commerciale). Elles sont conseillées par des femmes qui travaillent chez EDF, SII, SDEL, Chantiers de l’Atlantique, ArcelorMittal, Uxello, Bouygues Construction ou Naval Group…
Chaque projet est ensuite présenté oralement par les élèves devant un jury composé d’académiques et de professionnels. Signalons enfin que le groupe français Manitou se montre particulièrement actif sur le sujet, auquel il a notamment consacré une exposition photos. Chez cet employeur, de plus en plus de salariées exercent des métiers habituellement réservés aux hommes et elles s’y épanouissent parfaitement. Ce qui confirme qu’en dépoussiérant son image, l’industrie a beaucoup à gagner…
* Femme Entrepreneur, Femme de Production, Femme de Projets, Femme de R&D, Femme d’Innovation, Femme du Numérique, Femme du Développement durable, Femme Internationale, Femme Commerciale, Femme au Début prometteur, Femme de l’année.