De plus en plus robotisées, intelligentes, flexibles, connectées… à l’ère de l’industrie 4.0, les usines évoluent en profondeur. Ce sont de nouveaux métiers qui apparaissent à tous les échelons hiérarchiques et dans toutes les fonctions. Du chief data officer au man-machine teaming managers en passant par le data scientist, tour d’horizon prospectif…
industrie 4.0
Pour rappel, la notion d’industrie 4.0 fait référence à une quatrième révolution industrielle, les trois précédentes étant l’introduction de la machine à vapeur et de la mécanisation au XIXe siècle, l’électricité et le fordisme au début du XXe puis l’automatisation depuis les années 70. Effectivement, bien au-delà d’un effet de mode ou d’un concept disruptif, on peut parler d’une véritable révolution qui se traduit par des mutations substantielles en termes technologiques, mais aussi sur le plan organisationnel et social. Et si cette révolution n’intervient certes pas du jour au lendemain, le mouvement s’accélère.
Les créations d’emplois compenseraient les destructions
Dans la mesure où la robotisation et l’intelligence artificielle font partie des piliers incontournables de l’industrie 4.0., la question des impacts sur l’emploi fait évidemment débat. La majorité des experts et des études tendent à prévoir que cet impact sera globalement positif, et même que cette nouvelle révolution industrielle s’avérera propice à la relocalisation en Europe de certaines activités de production. Mais ce qui ne fait aucun doute, c’est que les métiers de l’industrie ont déjà commencé à évoluer en profondeur et que de nouvelles fonctions apparaissent ou vont apparaître à plus ou moins long terme (d’autres étant amenées à disparaître, mais il s’agit souvent des plus pénibles ou répétitives).
Des postes de direction et de management…
C’est ainsi que les chief digital officers intègrent depuis quelques années les plus hautes instances de direction des groupes industriels. Souvent diplômés de HEC, de Centrale-Supelec ou de Polytechnique, et forts d’une solide expérience dans le numérique et l’industrie, ils sont chargés d’une mission éminemment stratégique, celle de faire en sorte que les groupes qui les emploient entrent pleinement dans l’ère du digital. On notera que Renault, par exemple, s’est doté d’un CDO dès 2011.
On assiste aussi à l’apparition et à la montée en puissance de postes de direction liés au management des usines du futur. Là encore, pour exercer ce métier (si nouveau qu’il n’a pas encore d’appellation générique), il faut à la fois une longue expérience de la production industrielle et un goût certain pour la technologie, ainsi qu’un talent avéré pour piloter les projets et “embarquer” les équipes.
Des experts du marketing et de la cybersécurité…
Mais c’est à quasiment tous les échelons hiérarchiques des entreprises industrielles qu’apparaissent (ou vont apparaître) de nouvelles fonctions. Certaines ne s’exerceront pas directement sur les lignes de production, mais seront en interaction permanente avec elles.
Ainsi, l’industrie va employer de plus en plus de “marketeurs digitaux”. Car plus la production devient personnalisée et flexible (ce qui fait partie des piliers de l’industrie du futur), plus elle doit échanger avec le marketing, qui s’appuie notamment sur les techniques du big data pour anticiper la demande.
Toujours du côté de l’ingénierie, ce sont de multiples expertises qui sont amenées à se développer avec l’avènement de l’industrie 4.0. Celles liées à la cybersécurité, en particulier, sont d’ores et déjà très recherchées. Car les enjeux sont de taille. En avril 2019, à titre d’exemple, l’industriel de l’agroalimentaire Fleury-Michon a dû interrompre sa production durant cinq jours à cause d’un virus informatique.
… des spécialistes de la simulation, de l’impression 3D ou du cloud…
Les ingénieurs en simulation numérique, de leur côté, projettent les futurs produits dans une multitude de scénarios d’usage, ceci afin de tester leur robustesse avant même qu’ils n’existent. Leurs compétences sont particulièrement convoitées dans les secteurs de l’aéronautique et de l’automobile, tout comme celles des “développeurs réalité virtuelle”, dont la mission consiste à identifier les potentiels problèmes de fonctionnement d’une ligne de production avant même que celle-ci ne soit opérationnelle. Et ce, dans un contexte où l’impression 3D change la donne, y compris pour la production en série. Là encore, ce sont des métiers inédits qui émergent autour de cette technologie.
De plus, comme les usines du futur feront de plus en plus appel aux ressources décentralisées du cloud computing et à celles de sa variante plus récente, dite edge computing(1), il leur faut commencer dès aujourd’hui à intégrer les expertises ad hoc.
Plus largement, lorsque l’on sait combien la donnée, sa collecte et son exploitation figurent au cœur des enjeux lorsque l’on parle d’usine du futur, on comprend pourquoi les data scientists et les data analysts sont promis à de très belles carrières dans l’industrie. Idem pour les autres experts qui interviennent tout au long de la chaîne de traitement de la donnée : on recrute aujourd’hui des data miners, des data engineers, des data stewards, des data architects et autres data designers.
…sans oublier la donnée et l’IA !
Bien sûr, dans l’industrie comme dans la quasi-totalité des autres secteurs de l’économie, le déploiement des outils d’intelligence artificielle crée toute une variété de nouveaux métiers dont certains ne relèvent plus tout à fait de la science-fiction. À la croisée de l’ergonomie, de la psychologie et de l’expérience utilisateur, des psy-designers construisent la personnalité des IA. Ils travaillent avec (ou sont encadrés par) des éthiciens, car la capacité de l’intelligence artificielle à devenir auto-apprenante, notamment, nécessite de définir précisément ce que l’éthique impose de réserver à l’humain. Dans l’industrie 4.0., les psy-designers collaborent aussi avec des man-machine teaming managers, chargés plus spécifiquement de gérer la collaboration entre humains et robots, définissant les règles et les rôles respectifs.
Les ouvriers 4.0 : qualifiés et polyvalents
Enfin, sur les lignes de production des usines du futur, des opérateurs supervisent les robots, participent à leur “formation”, assurent leur maintenance quotidienne, etc. Ils peuvent aussi être amenés à travailler en interaction avec eux puisque la cobotique, c’est-à-dire tout ce qui relève de la collaboration homme-robot, fait l’objet de multiples applications dans l’industrie. Selon les secteurs, les filières, les types d’entreprises et les phases de production, les “ouvriers 4.0” pourront exercer des fonctions très diverses. Ils devront donc avoir acquis un certain niveau de qualification, mais il leur faudra également faire preuve d’adaptabilité et composer avec la flexibilité croissante de l’organisation.
Tant de métiers à (ré)inventer
À vrai dire, et cela semble logique compte tenu de l’ampleur de la révolution amorcée, beaucoup de métiers qui s’exerceront dans les usines 4.0 n’existent tout simplement pas encore. Ils restent à inventer, y compris par ceux qui les exerceront. Vu l’accélération temporelle qui accompagne la transformation digitale de l’industrie (et de la société en général), certains n’existeront peut-être que durant quelques années.
Mais on constate aussi que certains métiers industriels “anciens” connaissent ou connaîtront des évolutions profondes. Ceux de la maintenance, notamment, sont fortement impactés par l’arrivée massive des capteurs connecté dans les usines. En permettant de suivre l’exécution des opérations de production, d’évaluer l’usure des machines et d’anticiper les futures pannes, ces capteurs font évoluer en profondeur le périmètre d’intervention et le savoir-faire des “mainteneurs”.
Le défi de l’intégration robotique
De même, les métiers de la logistique connaissent un véritable bouleversement avec le déploiement des véhicules à guidage automatique (Automatic Guided Vehicle, ou AGV), une famille de robots dont les industriels ont très vite perçu les avantages dès lors qu’il s’agit de déplacer des marchandises dans une usine, un atelier ou un entrepôt. En revanche, l’intégration des robots au cœur même des process de production manufacturière représente un défi plus complexe. C’est pourquoi ce métier est déjà en tension dans l’industrie française, ce qui ralentit bien des projets.
Le grand enjeu des filières de formation
Il est clair, en tout cas, que si l’industrie hexagonale veut rester compétitive à l’ère des usines 4.0, elle devra pouvoir compter sur des compétences nouvelles. Cela représente évidemment de très forts enjeux de formation, qu’il s’agisse de préparer les jeunes à travailler dans les usines de demain ou d’adapter les savoir-faire des salariés expérimentés afin de maintenir leur employabilité. Des filières, des contenus pédagogiques et des méthodes d’apprentissage sont donc à construire.
Parmi les initiatives prises dans ce sens, on peut mentionner l’Innovation Center for Operations (ICO), créé en 2016 par le cabinet Boston Consulting Group en partenariat avec l’école d’ingénieurs CentraleSupelec. Cette usine-école de 1 200 m², installée sur le plateau de Saclay, reproduit de la manière la plus réaliste possible deux lignes de production 4.0, l’une pour l’assemblage de scooters et l’autre pour la fabrication de bonbons.
Plateformes pédagogiques
On peut également citer les AIP-Primeca (ou Ateliers Inter-établissements de Productique et Pôle de Ressources Informatiques pour la MECAnique), qui emploient au total 600 enseignants-chercheurs pour 25 000 étudiants. L’AIP-Primeca de Bourgogne-Franche-Comté et celui de Grenoble pilotent des plateformes robotiques dédiées respectivement à la micro-industrie de l’horlogerie et à la visualisation 3D, tandis que ceux de Toulouse et de Nantes se sont spécialisés dans l’usinage. L’un des enjeux-clés de ce réseau est le financement des équipements. Il mise donc sur une plus grande mutualisation des machines, mais aussi sur des partenariats renforcés avec les fournisseurs, sachant que les étudiants d’aujourd’hui sont les acheteurs de demain.
(1) technologie dite « à la frontière du réseau », qui consiste à intégrer de l’intelligence artificielle dans un microcontrôleur positionné à proximité immédiate d’une machine, de façon à pouvoir analyser son état de fonctionnement en temps réel sans passer par le cloud.