20 ans, 40 ans, 60 ans, 80 ans … Il n’y a pas d’âge pour s’interroger sur l’utilité de son travail, sur le sens à se lever chaque matin et recommencer le lendemain. Sortir du déni pour se poser sincèrement la question peut prendre des années, trouver des réponses en demande parfois autant. Ces quelques semaines de retour forcé à la maison nous ont fait gagner de précieuses années dans cette réflexion.
A la maison, le roi est nu
Mardi 17 mars, 7h, le réveil sonne comme chaque jour, mais cette première journée de confinement, elle, n’a rien d’habituel. Il n’est pas nécessaire de prendre la voiture pour se rendre au bureau, monter dans une tour, enchaîner des réunions, taper des rapports … sur quels sujets déjà ? On ne sait plus !
Au bout de quelques semaines à la maison, “le monde d’avant” paraît bien lointain. Que l’on soit au chômage partiel, en télétravail ou que l’on fasse partie de ces métiers essentiels à la vie de la nation, la réflexion finit par arriver : “Quel est le sens de mon travail ?”
Pour les soignants, le monde entier le comprend d’un seul coup et le leur rappelle tous les soirs à 20h.
Pour beaucoup de cols blancs en revanche, la réponse n’est pas aussi simple. Le confinement nous a mis face à nous-mêmes et nous a donné le temps d’une réflexion que nous ne souhaitons pas avoir en temps normal, il nous permet désormais de sortir du déni.
Et si mon métier était un “bullshit jobs” ? Cette expression nous vient de David Graeber. Dans son livre éponyme, l’anthropologue le définit comme “Un boulot à la con (…) si inutile, absurde, voire néfaste, que même le salarié ne peut en justifier l’existence, bien que le contrat avec son employeur l’oblige à prétendre qu’il existe une utilité à son travail. Ceux qui occupent ces boulots à la con sont souvent entourés d’honneur et de prestige ; ils sont respectés, bien rémunérés (…). Pourtant, ils sont secrètement conscients de n’avoir rien accompli. (…) Ils savent que tout est construit sur un mensonge.”
Ce mensonge des bullshit jobs nous renvoie au conte d’Andersen : avec près de 200 ans d’avance, Les habits neufs de l’empereur dépeignent bien la supercherie de certains métiers.
Dans son conte, Andersen écrit l’histoire d’un roi à qui deux escrocs ont promis de confectionner des vêtements que les sots et les incapables ne pourraient voir et qui ne seraient visibles que par les gens intelligents. Lors de l’essayage public et face à l’absence de vêtement, le roi, ses ministres et le peuple ne dirent rien et firent semblant d’admirer un vêtement qui n’existait pas. Ce n’est que lorsqu’un enfant osa dire “Le roi est nu” que tout le monde reconnu l’escroquerie.
Malheureusement, les bullshit jobs et ce sentiment d’escroquerie touche de plus en plus de métiers et une fois que nous nous sommes interrogés sur la réalité de notre travail, vient le temps de la quête de sens.
Samuel Durand
Une quête de sens universelle
Attribuée à tort aux millennials, la quête de sens n’est pas l’apanage de la plus jeune génération. Les individus nés entre 1980 et 2000 ne sont pas nés dotés d’un besoin de sens, de transparence ou d’indépendance accru.
Non, il s’agit-là d’un changement de paradigme, c’est la société dans son ensemble qui évolue. Ce besoin de sens peut se manifester après des années de carrière au sein de la même entreprise ou encore au moment du départ à la retraite.
Cette réflexion que l’on peut tous avoir à un moment différent de nos vies et qui nous paraît si personnelle dans ses manifestations, est en réalité collective. Elle prend ses racines dans les transformations du travail : déclin du salariat, apparition de l’économie du partage rapidement transformée en gig economy, prise en compte des aspects sociaux et environnementaux …
Pour ceux qui poussent la réflexion jusqu’au bout, le retour en arrière n’est pas une option, maintenant que le roi a été mis à nu, il ne recherche plus de sublimes étoffes et parures aux prix du ridicule, il cherche des vêtements confortables et utiles !
Les rois dénudés rhabillés par l’artisanat ?
Avant de rendre précipitamment les costumes, de quitter nos jobs et d’aller tous élever des chèvres en Basse Ardèche, une solution intermédiaire serait peut-être d’essayer de retrouver un sentiment d’accomplissement dans nos métiers respectifs.
Tout n’est pas à jeter dans ce que nous faisons, et même dans le plus bullshit des jobs, il y a certainement des éléments à conserver, je suis persuadé qu’ils peuvent même devenir vecteurs de sens, pourvu que l’on modifie notre perception de ces derniers.
Que l’on soit développeur, acheteur, consultant, RH ou que sais-je, il y a toujours une façon d’exercer son activité avec une meilleure conscience de ses actes, une meilleure attention portée aux détails, une dose supplémentaire de savoir-faire pour sublimer son action.
Dans son livre Du labeur à l’ouvrage, Laetitia Vitaud explique que l’autonomie, la créativité et la maîtrise de l’impact de son travail, qui sont caractéristiques de l’artisanat, peuvent se retrouver dans de nombreux métiers que l’on ne considère pas comme artisanaux. Pour passer du labeur à l’ouvrage, il s’agit de s’approprier les principes de l’artisanat dans son quotidien.
Mes activités d’indépendant sont par nature déjà très proches de celles d’un artisan.
L’autonomie est impérative : personne n’est là le matin pour me rappeler que je dois sortir du lit ou pour me dire de m’arrêter en fin de journée, la liberté de choix de mes horaires peut vite devenir un piège si je ne m’imposais pas une certaine rigueur. Je suis seul à fixer mon niveau d’exigence et de créativité pour chaque création, lorsque je rédige un article ou que je prépare une conférence, je suis seul juge de la qualité de mon travail. A la manière d’un artisan qui transforme un tronc en une belle sculpture, je mesure directement l’impact de mon travail : des premiers mots tapés sur mon ordinateur jusqu’aux retours des lecteurs, il ne se passe que quelques heures.
De la même façon que l’artisan fait le choix de son lieu de travail, de ses outils, qu’il a des rapports directs avec ses fournisseurs et ses clients et qu’il mesure l’impact de ses actions au quotidien, nous pouvons chacun à notre façon nous imprégner de ces modes de travail.
La bio de Samuel Durand
Après avoir passé six mois autour du monde à étudier et documenter les transformations du travail, Samuel Durand intervient en entreprise pour accompagner ces changements avec des conférences et des ateliers.
Il rédige deux fois par mois le billet du futur, sa newsletter qui décrypte les transformations du travail.
Le coup de cœur
Mon coup de cœur est le livre de Denis Pennel : Travail, la soif de liberté
C’est un livre que j’ai lu juste avant de démarrer ma learning expedition en ayant en tête mon prochain passage à Bruxelles pour y rencontrer son auteur.
C’est à mon sens le livre qui représente le mieux les transformations actuelles du travail. Denis Pennel commence l’ouvrage en décrivant ce à quoi pourrait ressembler le futur travail de son filleul, Diego. L’utopie n’en est pas vraiment une puisque certaines caractéristiques du quotidien de Diego sont déjà une réalité pour de plus en plus de travailleurs. Denis Pennel termine le livre avec 25 propositions très concrètes pour accompagner cette transformation du travail. Une vraie ode à la liberté dans son travail !
“Devenu protéiforme, collaboratif, agile, autonome, le travail est en train de faire sa révolution”